27. arriver
[construire une ville avec des mots]
Port Authority Bus Terminal, 23h37. Après plusieurs secousses très prononcées, le bus s’arrête net laissant échapper un bruit strident de freins mal entretenus puis déverse sans plus attendre sur le quai dépeuplé une poignée de voyageurs encore engourdis, plus ou moins défaits, voire avachis par leur interminable trajet. Un homme en uniforme, le logo de la compagnie de transport tissé sur le haut de sa manche, note l’heure d’arrivée du bus. Sur ce bout de trottoir pas de comité d’accueil ni de groupies surexcitées derrière des barrières de protection, le lieu ressemble plutôt à une sortie de service. Le bagagiste, impatient de terminer son service, ouvre la trappe à bagages. Chacun récupère son sac et se disperse. L’anonymat tisse sa toile détroussant de leur histoire les silhouettes vaporeuses englouties par la nuit opaque. Elle se retrouve seule, démunie, se questionnant sur la direction à prendre pour sortir du terminal. Au-delà du vide qui s’installe aux alentours, les flashbacks de son arrivée dans la mégalopole viennent la visiter comblant ainsi des pans de son cerveau pour le moment inopérant. La fatigue l’ankylose. Elle s’assoie sur son sac, consciente que la ville est là, en direction de la sortie. Le film de son arrivée se joue et se rejoue dans sa mémoire tel un film qui se rembobinerait et se projetterait en boucle jusqu’à l’infini. Eprouver encore une fois la sensation forte d’un but bientôt atteint. Retarder le moment. Profiter de cet instant en suspension et l’imprimer définitivement dans sa mémoire. Observer les palpitations de la ville juste avant la traversée du Queensboro Bridge et se dire que « ça y est, on y est à nouveau ». Le regard transperçant la vitre poussiéreuse du bus s’accroche au panorama, se laisse subjuguer par ce splendide paysage urbain. Frissons. Une carte postale vivante. L’image sans le son. Pas encore, il viendra plus tard lorsque le pont aura été franchi. Enchantement. Les lumières de la ville sont autant de petits lampions qui embrasent la nuit, laissant l’imaginaire vagabonder, libre, au-dessus des différents quartiers de la cité. Il est temps pour elle de poursuivre son chemin, de se fondre dans la nuit profonde et d’affronter les paradoxes de la ville.
[contribution atelier F. Bon - Tiers livre été 2018]