19/02/2018

#3 bloc-paragraphe - vers un écrit film


Photo by Dominique Paillard






vers un écrit film, #3 | le "comment j'ai fait" de 
Marguerite Duras
revenir sur l'instant même du saut dans le "faire" en décrivant le contexte qui le
précède








Bloc-paragraphe


Comment j’ai fait ?

Au début je n’ai pas fait. Ou si peu. Rien de bien précis. Mais rien, en fait. Un mouvement anodin, insignifiant. Rien. Cependant, une petite voix résonnait en continu dans ma tête. Elle me dérangeait cette petite voix. Je n’arrivais pas à l’identifier. Le désespoir me rongeait. Des images venaient se fracasser dans mon imaginaire, narguaient ce qui aurait pu être un début de quelque chose et disparaissaient sans qu’une forme d’identification ait laissé une empreinte. Rageant. Un malaise intérieur grandissait en moi, envahissait tout l’espace, l’étranglait. La recherche d’une voie libératrice m’obsédait, habitait mes questionnements, les façonnait parfois, les orientait. J’étais prisonnière de mes pensées, de mon effondrement. Le café avait un goût de non retour. La rue se vivait au-delà de la vitre embuée, sans moi. C’était au début et je n’avais rien fait. Pas encore. Alors, comment j’ai fait pour faire ? D’abord, il y a eu l’espace. Des sons ont commencé à envahir cet environnement étriqué puis généreux, ce qui a permis aux sons de se multiplier. Et puis, j’ai pu entendre les fréquences, les écouter avec intérêt. C’était comme si les étapes d’un début de quelque chose se mettaient en place. Je crois me souvenir que les pluies avaient cessé à cette époque. Le froid était moins mordant, les manteaux ouverts aux courants d’air rafraîchissants. Les sons sont devenus des voix. Terminés ces ensembles phoniques lancinants du début. Laissez-moi entendre ces harmonies. Ensuite, il y a eu un lieu. Un quai et l’eau par-dessus le quai et la corde au-dessus de l’eau et le quai qui se retrouve submergé par cette vague orpheline qui n’en finit pas de se déployer en-dessous de la corde tendue. Et là, il fallait choisir : se laisser déborder ou terminer de lire le journal à la terrasse du café. Puis l’eau s’est retirée, le choix s’est fait par aspiration. Il y a peut-être ici un début de commencement du « comment j’ai fait ». Alors, j’ai laissé faire. J’ai laissé l’ailleurs m’envahir, la vague m’apprivoiser. J’ai laissé les visages se multiplier. J’ai laissé la marée vivre au rythme de son flux et reflux. D’ailleurs avais-je le choix ? J’ai aimé ça. La peur au ventre, j’ai cédé. J’ai aimé ça encore. Je me suis offerte au « faire », mais je ne sais toujours pas comment.



[contribution atelier François Bon - Tiers Livre]

17/02/2018

#2  j'ai trois souvenirs de films - vers un écrit film

Photo by Dominique Paillard
         




Vers un écrit film, #2 | "j'ai trois souvenirs de films
de ce que le film ouvre aux outils de l'écriture narrative
     









J’ai trois souvenirs de films

# Moissac # 1966
Le premier remonte à mes toutes jeunes années. Je me souviens d’une grande boîte posée sur une petite table. Les angles de l’écran étaient arrondis et lorsqu’il s’allumait, une image en noir et blanc s’animait. Juste avant l’heure du coucher, je regardais, fascinée, Bonne nuit les petits. Et c’est juste à la fin, au moment crucial où le marchand de sable lançait la poudre de sommeil et que Nounours remontait sur le nuage blanc en disant « faites de beaux rêves », qu’inévitablement je fondais en larmes. 

# Arcachon # 1977
Le second me ramène à la sortie de Diabolo menthe. C’était en période hivernale, pendant des vacances, je crois. A l’époque, c’est mon grand-père qui m’amenait au cinéma. J’étais fière qu’il accepte de partager ces moments particuliers avec moi, même si les films n’étaient pas toujours à son goût ou de son âge !

# Paray-le-Monial # 1980
Le troisième me renvoie dans une petite salle de province aux fauteuils rouges inconfortables. De celles qui ne proposent qu’un film à l’affiche le week-end et qu’il ne faut surtout pas manquer au risque de ne jamais le revoir. Je me souviens du regard surpris de mon père lors de la projection de La Cité des femmes de Fellini. Lui qui ne considérait pas le cinéma comme son passe-temps favori était ressorti quelque peu déstabilisé par la vision de ce film. Des années plus tard, il lui arrivait encore de l’évoquer.



[contribution ateliers François bon - Tiers Livre]

16/02/2018

#1 Interview - vers un écrit film

Photo by Dominique Paillard






"vers un écrit film, #1 | un renversement Koltès
Koltès écrit le film qu'il ne fera pas, on 
prend un fragment de film pour en faire 
écriture"









Interview

Visage
00’33’’Gros plan fixe sur un visage, ridé. Celui d’une femme. 
Cheveux châtain foncé, fins et longs, tirés en arrière et certainement retenus par une barrette.
Une paire de lunettes ovales, monture métallique.
Seule marque de maquillage : un trait noir au dessus de ses yeux sombres en guise de sourcils.
Et lorsqu’elle commence à parler, sa bouche fine laisse entrevoir l’existence d’une seule dent dépassant sournoisement de sa mâchoire supérieure, comme si elle était suspendue et souhaitait effectuer un numéro d’équilibriste.
Elle s’exprime en remuant la tête de bas en haut et en articulant.
Elle se présente : «  Mon nom est T., j’ai 73 ans. »

Ecran noir
00 :43 Musique (accordéon ?). Son nom apparaît, à droite de l’écran, lettres blanches sur fond noir.

La rue
00 :48 Large. Plan fixe et même musique au thème répétitif. La caméra s’est posée au centre de la rue et fixe le point d’horizon. Dominante de jaune et de vert.
De chaque côté, surplombant quelques résidences, de grands feuillus. L’ombre des feuillages frémissant sous le vent caresse l’asphalte. Deux voitures sont garées le long du trottoir, à gauche. De petites barrières en bois blanc délimitent les propriétés.

La porte
00 :53 Gros plan fixe sur la boîte aux lettres suspendue à côté de la porte. N° 18. Au dessus de la boîte aux lettres, une affichette retenue par un large ruban adhésif gris. Une inscription est ajoutée à droite d’une croix coloriée en orange :
Dieu est mon co-pilote
L’ombre d’un arbuste se reflète sur la vitre de la porte.

La femme
00 :56 Mouvement de caméra qui descend vers la femme assise dans un fauteuil de jardin en métal blanc, devant son porche. Mains et jambes croisées, la tête légèrement inclinée sur sa droite, à gauche pour nous. Elle porte une robe longue à dominante noire sur un chemisier rouge à manches longues, des chaussettes blanches dans des chaussures ouvertes sombres.
Toujours la même musique, le même instrument, le même thème.
01 :05 Gros plan sur son visage mat baigné par le soleil. Les yeux, interrogateurs, fixent l’objectif. Une mèche de cheveux voltige sur son front.
Fondu.
01 :10 Format paysage.
Prise de son en direct. Le vent souffle. On l’entend dans le micro.
Theresa est toujours assise dans la même position et parle d’une voix posée, distincte.
Derrière elle, on devine le porche da sa maison en bois. On y retrouve un canapé bas aux coussins dépareillés, une plante dans un grand pot en terre, une table basse en bois où sont posés deux abris bois pour oiseaux (l’un gris, l’autre rouge), un sac plastique, des rubans, un chapeau de paille.
Elle se présente, parle d’elle, de sa vie.
01 :20 Gros plan sur son visage. Il lui manque des dents à la mâchoire supérieure, seule une incisive reste visible, toujours la même. 
01 :34 Plan plus large. Elle raconte l’histoire de sa vie. Elle aime l’écrire et aussi écrire des poèmes.
Les cinq incisions dans son récit :
01 :45 Contre plongée sur les mains de Teresa. Gros plan d’une photo de mode dans un magasine.
02 :13 Plan fixe et rapproché sur les mains de Teresa. Bruit d’une bobine qui film. Au moins trois bagues à chaque main, certains doigts portent plusieurs bagues. Elle range avec précipitation une feuille pliée en boule dans un petit sac de toile.
02 :42 La camera montre un poème écrit par Theresa, signé de son nom.
03 :11 Elle montre l’autre côté de son texte.
03 :54 Idem. Gros plan sur les mains et la feuille.
Elle parle, évoque sa jeunesse, son mariage, sa maison, le cinéma, l’écriture, Dieu, la drogue, la solitude.

Fin
04 :21 Prise de vue de sa maison de l’autre côté de la rue. Grand angle, déformation de l’image fixe. Un pick-up noir traverse l’écran de gauche à droite.
Musique : harmonica.
04 :30 Zoom avant sur Teresa, mise au point saccadée, puis gros plan de son visage.
Fondu. 
04 :29 Ecran noir.


[contributions à l'atelier François Bon - Tiers Livre]

01/02/2018

SANS DETOUR, LE RETOUR DU DETOUR 

Photo by Dominique Paillard

"LA FORCE DE L'ECRIRE EST D'ABORD DANS LE TEMPS QU'ON RETIENT L'ECRITURE"

(M O ? p.40)