15/04/2018

#4 fragment d'enquête - vers un écrit film

Photo by Dominique Paillard






vers un écrit film, #4 | quand Modiano mène l'enquête
faire récit de comment on va vers le récit, à partir du Dora Bruder de Patrick 
Modiano










Fragment d’enquête



Je les ai trouvées au fond d’une caisse en bois, sous une pile de vêtements d’enfant, dans l’arrière boutique d’un antiquaire de la rue Notre Dame. Quelques photos défraîchies en noir et blanc, aux bords dentelés. Elles sont empilées pêle-mêle dans une boîte à chaussures fragilisée par le poids des années. Je suis intriguée. La plupart des clichés représentent une famille, un couple et deux jeunes garçons.

Au dos de certaines photos, des dates, des lieux y sont inscrits, souvent au crayon de papier, parfois à la plume. Au hasard, je lis : Lisbonne 1953, juillet 41 (Lisbonne ?), Marseille 5.12.43, Marseille 22.08.43, Toulouse août 43, Sénégal 1959, Tarbes septembre 1943, G… 2.4.42, Casa Hôtel Marhaba 1957, Ile de Ré 1957, Pins 10.4.49.

Et puis une adresse à Dakar, avenue William Ponty, n° 103.

Au verso d’une carte menu, ces quelques mots : « A notre grand ca… de toute la famille – que 1957 te libère de tous ces ennuis !! » 

Au fond de la boîte, des cartes de visite :
Nom : John Tschirhart, Saint-Dizier
Au dos on peut y décrypter une adresse manuscrite : chez Mrs Louise Tshirhart, c/o Henry Loessberg, Route 1, Box 8, D…, Texas. La ville est illisible. Dunlap ? Dunlay ?
Nom : Dr Severo Do Amaral, cirurgia – ortopedia – ginecologia. Residencia : Tél. 27-9560
Hôtel Lebron TRU 75-52 – Métro Cadet

Une vie de famille en lévitation, des moments figés par le temps. Des visages, des regards inconnus s’étalent devant moi. Des secrets exposés, des codes inexpliqués se déplient sans que je sache définir réellement de quoi il s’agit. Des bouts de vie resurgissent de nulle part, déposés en tas dans une boîte insignifiante. Des existences endormies depuis si longtemps semble-t-il. 

Au dos d’une photo, une adresse attire mon attention : Pensoa York House, 32 rua das Janelas Verdes, Lisboa. Les battements de mon cœur s’accélèrent. Et si cette pension existait encore ? 

Je demande à l’antiquaire qui terminait une partie de Pacman sur son ordinateur (surprenant !) si je pouvais le débarrasser de cette boîte à chaussures avec l’intégralité de son contenu. Pour 1€ symbolique, je m’acquittais de ma dette et je rentrais chez moi, à grandes enjambées, avec mon butin sous le bras, avide d’en connaître davantage sur cette pension portugaise. 

Vite, je m’installe devant mon ordinateur, « Recherche Google » ! Je tape le début du nom « pensoa york… » et déjà ma recherche apparaît ! Sur la droite de mon écran s’affiche l’adresse exacte, R. das Janelas Verdes, 1200-691 Lisboa, Portugal suivie d’un numéro de téléphone, +351 21 396 2435. Je suis abasourdie. 4,2 étoiles/5 et 73 avis Google. 4,5/5 sur booking.com et 4/5 sur tripadvisor.fr. La pension s’est transformée en hôtel quatre étoiles à 150€ la nuitée (en moyenne). Whaou. J’ouvre une autre fenêtre dans Safari et je tape l’adresse dans la lucarne de recherche Google Map. Localisée ! à proximité des berges du Tage. Je zoome. Google street s’active. Je me retrouve virtuellement parlant dans la rue. Chaussée et trottoirs pavés. Je suis devant une façade couleur rouge bordeaux. L’entrée de l’hôtel est au numéro 32. Vue de dessus, la façade n’est qu’un simulacre, une protection. En passant cette porte, on se retrouve dans une cours arborée, le bâtiment imposant est sur la droite. En avançant un peu plus un joli patio se dévoile sur la droite. J’ai des doutes. Est-ce bien là ? Comment ce lieu a-t-il évolué depuis les années 40 ? Je ne trouve rien sur le net. C’est décevant. 

Je saisis la boîte à chaussures posée sur la table de la cuisine et me replonge dans l’examen de toutes les photos à la recherche d’une autre piste.


[contribution atelier François Bon - Tiers Livre]