25/05/2018

#5 diptyque - vers un écrit film

Photo by Dominique Paillard






vers un écrit film, #5 |  générique & expansion, avec Claude Simon
en partant de "leçon de choses"








Diptyque


Un profond silence s’échappe de cette pièce aux murs sombres et humides. Partout où l’attention se porte, c’est un décor uniforme de délabrement qui s’offre au regard. En dessous de la fenêtre, à gauche, la structure blanche du lit en métal forgé accueille un matelas de laine grisâtre à peine recouvert d’un drap chiffonné, mis en boule à son pied. Une veste défraîchie en lin clair pend laborieusement à la tête du lit. A côté, une malle en cuir vert amande, enduite d’une épaisse couche de poussière, attend depuis une éternité de dévoiler ses secrets. Au dessus, quatre clous ont été plantés dans un mur recouvert de papier journal jauni par les années, ils supportent difficilement des vêtements que l’empreinte du temps n’a guère épargnés. Dans l’enfilade, un meuble en bois bardé de coups et privé de sa patine témoigne d’une époque où la vie a dû s’arrêter brutalement. Une des portes est déboîtée de ses gongs et un tiroir est resté à moitié ouvert. Dedans, le vide. Au fond de la pièce, une table en bois gondolée supporte en son milieu un vase de couleur verte ébréché sur sa hauteur. Autour, quatre chaises différentes : trois en bois, une en ferraille. Les deux assises paillées sont défoncées et laissent entrevoir un trou plus ou moins important selon l’usure. L’assise recouverte d’un tissu sombre semble la plus en état, même si ce n’est qu’une illusion. La matière n’attend qu’un souffle fin pour s’éventer et laisser surgir le rembourrage de paille ou de laine. Construit avec des planches en bois mal rabotées et poussiéreuses, le sol, dans son instabilité avérée, parsemé de tâches indélébiles, est défoncé à de nombreux endroits. Le mur du fond est dans un état de délabrement avancé. La tapisserie délavée, déchirée par lambeaux, humidifiée puis séchée est recouverte de tâches dévoilant un univers aux formes impressionnistes. Au milieu du mur, une reproduction de Georges Washington est épinglée. Son regard semble veiller sur cet univers clos où les âmes se sont évanouies depuis des décennies. Sur la gauche, la porte d’entrée à la poignée ronde patinée se situe dans le prolongement d’une armoire en bois éventrée par le poids des jours écoulés. Elle est une invitation à s’évader pour laisser en paix un temps assoupi à jamais.

Un bruit sourd se fait entendre, la porte d’entrée claque. La poussière vole puis se redépose en fine pluie sur les meubles et le sol. Elle porte sur le lieu un regard circulaire. Attend. Sa respiration reprend un rythme régulier. D’un pas mal assuré, elle se glisse dans le temps suspendu de la pièce si silencieuse tout en se dirigeant vers le lit. Son regard effleure le drap froissé, sa main saisit la veste défraîchie. La poussière se repend sur le sol. Elle glisse ses doigts dans une poche du vêtement et en retire un mouchoir aux couleurs passées où les initiales LV sont minutieusement brodées. En reposant la veste, elle jette un regard vite au portrait de Georges Washington, lève les yeux au ciel, inspire et expire profondément tout en serrant avec délicatesse le précieux tissu sur son cœur. Et le temps se met en pause une nouvelle fois, comme s’il était complice de cette intrusion.


[contribution atelier François Bon - Tiers Livre]