27/07/2023

carnet | juillet-août /// 2023

 

© dep


100 mots, tous les jours ou presque posés comme ils viennent... 

crnt|27•07•23

Sur les traces du passé. Superposition de couches de souvenirs. Ça s’emmêle, ça s’embrouille, ça se bouscule et ça se brouille. Perte du détail, ne reste qu’une impression indéfinissable, un ressenti diffus. L’avant n’est plus et le présent est déjà le passé. Aucune surprise. Alors, creuser au-delà des mots et sentir battre le cœur de la ville si différente aujourd’hui. Déception. SF, une âme perdue, vide de ce qu’elle a pu être et représenter. Seul le brouillard, le fog, reste constant sans avoir la capacité de réparer ce qui s’est cassé, ce qui ne sera plus. C’est comme un adieu.


crnt|17•07•23

Glisser doucement vers le Pacifique. Observer cet océan à la fois le même et si différent de notre océan Atlantique. Peut-être plus sauvage, plus profond, plus inquiétant, certainement moins familier. Longer le rivage pris entre le liquide bleu métal et la ville, d’une étendue, d’une intensité sans commune mesure. LA c’est douze fois Paris. Il faut des heures, des journées entières pour la parcourir du nord au sud, d’est en ouest sur des rubans de highways qui tracent des sillons et déploient une cartographie gigantesque d’artères vitales à la bonne régulation de la vie. Aujourd’hui, un doux soleil la caresse.


crnt|12•07•23

Peut-être se contenter d’un mot et le réécrire cent fois le mot celui qu’on a choisi qu’on va choisir qu’on choisira demain ou un autre jour ça n’a aucune importance d’ailleurs pas le mot le choix et puis faut-il vraiment choisir car choisir un seul mot relève d’un exercice difficile à concevoir lorsqu’on en aime plusieurs alors partir sur le fait qu’on peut en choisir deux ou trois et prendre du temps pour révéler celui qui sera l’élu celui qui réunira tous les critères qui fera qu’un mot sortira du lot et accaparera notre esprit jusqu’à le choisir sans détour


crnt|07•07•23

Quand le corps cède à l’usure du temps. Quand le corps parle, diffuse un message d’alerte aux warnings clignotants sans cesse, aveuglants et tranchants. Quand le corps se détache du réel, l’esprit vogue ailleurs, s’évade pour trouver un espace rassurant. Alors chercher les mots utiles, les mots paisibles, les mots consolants pour dire ce qui habite en soi et écarter du présent un danger bien incarné. De celui qui peut conduire le corps au malaise total à la rupture irréversible. Écoute, écoute, écoute ce qui grouille à l’intérieur de toi et qui t’appelle vers l’apaisement de ton moi enfin retrouvé. 


crnt|05•07•23

 

Quand l’esprit part ailleurs, se perd dans les méandres de la vie, c’est comme une attente de demain, l’urgence du départ et c’est à ce moment-là que tout devient possible. Alors, fixer l’horizon loin devant soi et se dire que le jour viendra, qu’il se présentera certainement bien plus vite qu’on ne l’avait espéré et qu’à ce moment-là, on saura qu’il est temps de partir, de prendre la route jusqu’à plus soif, jusqu’à se perdre dans un ailleurs vers lequel on tend depuis toujours. J’attends ce moment et l’espère depuis des mois. Il est temps de partir, tracer la route.

12/07/2023

atelier écriture_cycle été 2023 #04| c’est le dehors qu’elle observe

Elle marche pieds nus sur le carrelage froid. Elle entend les voix familières, elles viennent du salon où la famille échange sur les années passées à Dakar, à Casa, sur le présent, les terres familiales depuis de nombreuses décennies, sur la récolte de fruits précoce cette année. Mets tes chaussons, tu vas attraper du mal. Dans l’entrée, le piano. On n’avait pas su où le mettre lors de l’emménagement. Les autres meubles avaient trouvé leur place, pas le piano droit, il gisait, collé au mur, dans le passage.Depuis plus de 50 ans, c’est du dehors qu’elle observe cette maison. Les notes du piano résonnent encore en elle lorsqu’elle appuyait sur les touches en ivoire au hasard. L’une d’elles avait été ébréchée par une statuette en bois représentant un éléphant, elle avait tapé dessus sans se rendre compte du dommage encouru. Elle est revenue sur ce lieu à plusieurs reprises. Au début les années se sont écoulées, ont apaisé la colère, ont tamisé les regrets et l’absence sans jamais effacer le souvenir et, dès qu’elle a obtenu son permis de conduire, elle a fait route vers la maison, a tâtonné, a demandé de l’aide, a fait appel à sa mémoire pour la retrouver. 
Debout sur un fauteuil, les jumelles collées aux yeux, elle suit de la fenêtre du bureau son grand-père parti chasser avec son setter anglais sur les terres d’en face, de l’autre côté de la route. Ne tombe pas. À son retour, on va l’accueillir, ouvrir la gibecière et trouver un lièvre, un faisan. Ce sera le moment des larmes, des caresses sur le pelage ou les plumes de la victime et on passera vite fait sur les explications de la vie et la mort des animaux sauvages. Les retrouver sur la table à manger lui coupera l’appétit pour longtemps. 
Elle gare la voiture devant le portail. Elle le reconnait, c’est le même depuis son enfance. Les volets sont clos, sentiment d’abandon, personne autour, personne à l’intérieur. Même la boîte aux lettres reste muette.

atelier été 2023_tiers livre_françois bon

09/07/2023

atelier écriture_cycle été 2023 #03bis| quatre par quatre


 Les parents aimaient s’amuser, boire des verres à la terrasse des cafés, préparer des pique-niques, se déguiser entre amis. Les garçons avaient grandi dans cette ambiance festive d’après-guerre. Des photos en témoignent. Sur l’une d’entre elles, ils sont quatre, devenus adultes. C’était au début des années 60. Ils étaient tous réunis dans la grande maison. Éclats de rire, déguisement, poses rigolotes. Fiers de la surprise qu’ils offrent à leurs aînés, ils sont quatre transportés dans une bonne humeur communicative. Ils sont quatre. Les deux frères, le cousin et la jeune femme. D’habitude, ils sont plutôt trois à se retrouver dans la nouvelle maison parentale, trois à partager le même appartement parisien dès qu’ils remontent d’une visite en province vers la capitale. Il pense qu’il a de la chance d’avoir un grand frère comme lui, prêt à l’accueillir dans son nouveau chez lui. En retour, il l’aide pour ses cours de maths. Il ne sait pas pourquoi il a ces pensées maintenant alors qu’ils fouillent dans les placards. Tiens, cette robe de maman serait parfaite ! Pour une occasion qui n’est pas connue, le cousin les a rejoints. Il pense qu’il a bien fait de se rapprocher de ses cousins, que le temps passe différemment quand ils sont ensemble. Il aime cette présence familiale, cette chaleur d’accueil dont il a toujours bénéficié. Il veut se persuader qu’il est le cousin préféré ! Il a apporté des fleurs à sa tante, une attention qui lui a fait plaisir. Alors, comme au temps de leur tendre jeunesse, ils s’amusent de futilités, fouillent dans les armoires, les placards, le grenier. Les garçons se déguisent, jambes poilues sous des robes décolletées, colliers autour du cou, yeux maquillés et chapeau d’époque. Il pense qu’ils sont bien tous ensemble, que la jeune femme l’aime et que ça fait du bien. Les jours sont magnifiques à ses côtés et il veut lui prouver qu’il sera à la hauteur. Quant à la jeune femme, elle a enfilé un pyjama d’homme de couleur sombre et porte à son bras un sac à main, sur la tête un chapeau de paille. Elle pense qu’elle aussi, elle aimait se déguiser il n’y a pas si longtemps, qu’elle en a fait des kermesses, des défilés sur des chars et des galas de fin d’année. Elle retrouve ici de la joie de vivre, même si elle n’est pas encore très à l’aise. La suite, on ne la connait pas, on ne peut que supposer, imaginer le hors champ, 

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01/07/2023

atelier écriture_cycle été 2023 #03| comme elle le disait

 Comme elle le disait, le souvenir du doux regard de Jacky posé sur sa fragilité d’enfant couplé avec cette bienveillance naturelle qui lui appartenait, la fine moustache à lui identique à celle de son père à elle, leurs traits de visage ni tout à fait les mêmes ni tout à fait autre, mais tellement proches que sa perception des deux cousins s’en trouvait quelque peu confuse, sans toutefois la perturber, tout ce contexte contribuait à la maintenir dans un climat sécurisé. Elle ne le verbalisera que bien plus tard, à un âge où les éléments du passé viennent se frotter au présent, bousculer des paroles murmurées derrière une cloison, donner sens à une photo retrouvée. Cet hiver-là, il s’est mis à sa hauteur, a guidé ses pas encore hésitants, lui a parlé d’une voix qui semblait la fasciner, une voix qui s’est un jour fracturée, éteinte, éloignée d’elle jusqu’à perdre aujourd’hui la rondeur des mots prononcés. Depuis, ils se sont installés dans son moi intérieur, ont habité le lieu jusqu’à remonter une nuit de début d’automne. Anonymes et étonnamment familiers, les mots sont venus la perturber dans son profond sommeil. Ce jour-là, elle a ressenti une forme de présence, une évidence sans trop pouvoir définir l’urgence de cet appel. 

Je me souviens très bien de ce matin d’octobre, lorsque j’ai ouvert les yeux, j’ai ressenti au fond de moi un désordre morbide comme si l’idée de la mort se transformait en une matière solide. J’ai frissonné. Ce poids en moi alourdissait mon corps jusqu’à me faire mal. Ma respiration s’accélérait. Un état de questionnement accentué par un début de montée d’angoisse grondait en moi. J’ai cru le malheur à venir alors qu’il était déjà engagé. J’ai aperçu au loin une forme floue, comme une silhouette. J’ai voulu marcher vers elle. Je n’ai jamais pu la rattraper. Évaporée dans l’air confiné de la pièce aux contours nébuleux une forme associée à un rêve. Avais-je réellement créé cet instant ?

Un appel téléphonique tôt le matin, la voix de son père, son ton hésitant. Les mots peinent à sortir, à trouver leur sens. Très vite, elle en a identifié la raison, très vite elle fait le lien. C’était bien Jacky la cause de son désordre intérieur, le cousin de son père, celui qui lui avait donné son harmonica dans un étui en plastique rouge bordeaux alors qu’elle était encore très jeune, celui au prénom magique, presque rock’n roll, qui jouait de la batterie. Il se rappelait à sa mémoire après tant d’années, une dernière pensée, un dernier au revoir. Il n’y aurait plus de retour en arrière possible. Ni cimetière ni couronne ne reste que des cendres dispersées sur la surface miroitante de la Méditerranée. C’était son souhait.


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