13/05/2019

en 4000 mots | nouvelles de nos nouvelles

hiver 2018

#7. Virginia Woolf: contexte de l'écriture



Il y a ce lieu de l’intime, ce recoin intérieur de soi-même, cet espace particulier où l’écriture émerge, où les mots restent en retenue avant de se livrer à l’intensité d’un instant exclusif, où les phrases s’installent dans l’inconfort d’un carnet griffonné à la hâte. L’écriture ressemble à une mise en scène. Carnets, cahiers, blocs, petits bouts de papier ou feuilles volantes… les débris d’écrivain.

Je collectionne les carnets. En ce moment, j’en ai plusieurs qui attendent sur ma table de travail. Je les empile à la manière de petites briques délicates renfermant des fragments de secrets éparpillés au milieu des mots. Je prends toutes sortes de notes, écris des fragments, dresse des listes, rature et parfois dessine. Des rituels s’installent, je caresse la douce couverture comme si ce geste pouvait encourager une promesse d’écriture, déplace le ruban marque-page au fil des mots, ramène l’élastique sur le devant et serre symboliquement le carnet comme pour inscrire à jamais chaque sensation dans mon souvenir. Mon carnet Moleskine me suit partout, il est mon préféré, mon carnet de route, ma bande d’enregistrement écrite, celle qui traverse l’existence et m’accompagne sur le chemin de l’écriture. Ce carnet, c’est un capteur, celui de la vie de tous les jours où l’écriture arpente, explore, visite, parcourt des territoires inattendus. Il m’encourage, me donne confiance.

Il y a aussi ce lieu matérialisé, celui que je cherche sans cesse pour me poser et écrire dans l’intimité d’un espace à soi, ce lieu où poser mes carnets, ma trousse débordante de stylos, mes livres fétiches, mon X-Pro2 et mon MacBook Pro. « Une chambre à soi » comme le revendique Virginia Woolf. Dans la maison, j’erre, je me glisse de pièce en pièce, je m’imagine en train d’écrire sur une table que j’aurais choisie dans une brocante, mon esprit vagabonde, je me projette dans ce moment confidentiel de l’écrit, m’installe devant une fenêtre, ici et nulle part pour finalement revenir au même endroit. Derrière un plan de travail étroit dans une pièce courant d’air. Devant moi, une fenêtre qui donne dans le jardin, derrière moi, sous un petit escalier métallique une partie de ma bibliothèque où s’entassent mes indispensables, mes compagnons d’écriture. Entre, le vide.

Parfois, je monte l’escalier métallique jusqu’à ma chambre, regarde par la fenêtre et me fonds dans la tranquillité de la rue. Je me sens apaisée. Aujourd’hui, je travaille sur mon lit, callée sur mes oreillers, noircissant les pages de mon carnet dont le contenu est parfois retranscrit sur mon ordinateur portable, un MacBook Pro acheté durant l’été 2012. Déjà… C’est lui qui reçoit l’autre écriture, celle qui s’organise, se travaille, se finalise, se diffuse et se stocke. Un outil indispensable qui favorise la mise à distance, la dématérialisation. Et là, dans cet élan qui favorise la création, je ne peux m’empêcher de regarder, posée sur la commode, la vieille machine à écrire de mon grand-père au très vieux ruban asséché par le temps. Celle qui m’a donné, toute jeune, le goût de l’écriture, celle qui a supportée durant des heures et des heures que je martèle ses touches rebelles. Finalement, j’écris où je peux. Il m’arrive de squatter mon canapé, enveloppée dans un plaid moelleux, plus rarement de m’installer à la terrasse d’un café. Pourtant, j’en rêve. Me fondre dans le paysage urbain et noircir mon carnet de notes devant une tasse de café chaud, le visage caressé par les doux rayons d’un soleil printanier. Une prochaine étape.



[atelier F.Bon - Tiers livre]