14/11/2010

Je voulais regarder par-dessus mon épaule, mais j'étais trop concentré sur le mouvement de mes jambes.


Garder le rythme. Garder le rythme à tout prix. Contrôler le souffle, les battements du cœur. Faire le vide dans sa tête.

Les derniers kilomètres seront les plus difficiles à gérer. Je m'en souviens maintenant. La plante de mes pieds brûle. J'ai la cuisante impression de baigner dans un jus acide qui n'a de cesse d'attaquer le coton bouclé de mes chaussettes, puis le caoutchouc des semelles des mes chaussures de course. Je cours à vif sur le bitume.

Je fais mon entrée dans Central Park et ma vision rectiligne du parcours se transforme en un horizon vallonné. De chaque côté des coureurs, une foule compacte s'agglutine derrière les barrières de sécurité. Les cris d'encouragements deviennent maintenant autant de piques dans ma tête, mon corps. J'ai envie de hurler: "Arrêtez-vous!"

La ligne d'arrivée n'est plus très loin. J'avance tel un funambule vers un point lumineux imaginaire. Je vole. Je me sens plus léger. Les derniers mètres, c'est au ralenti que mon corps désarticulé les franchit puis le mur humain face à moi se fend.

Black out. C'est à l'hôpital que je me réveille.



Les Saisons de la solitude, Joseph Boyden, Albin Michel, 2008