29/07/2021

demain, un autre jour

 demain, un autre jour


photo ©DEP


Elle est sans doute au bord de la rupture. Elle se laisse tomber sur le canapé, assise râpée, coussins vétustes. Elle a à peine le temps de penser, cerveau à l’arrêt. Bien sûr, elle n’a plus rien à faire, elle attend, tousse, renifle parfois, bouge ses pieds, tortille ses mains. Elle se réveille peu à peu d’un cauchemar que rien ne semblait vouloir freiner. Un craquement, la fermeture d’une porte et ces mots prononcés par une voix grinçante, heureusement, demain est un autre jour, tu verras bien. Et là, dans ce condensé de mots, demain est un autre jour, il semblerait que tout soit dit. Rideau. La partie est terminée. Elle s’enfonce dans un tiraillement intérieur. Elle voit trouble. Elle s’épuise à oublier. Bien sûr, le temps passe et demain est un autre jour se perpétue, devient inévitablement un autre demain, une course inépuisable vers un jour sans cesse reporté, même si aujourd’hui s’éloigne déjà. Non loin d’elle, comme pour conjurer un sort, la voix radote, demain est un autre jour. Insupportable. Ces mots prennent toute la place dans sa tête tellement meurtrie, s’installent, tournent en boucle. Demain est un autre jour, comment faire avec ? Elle les repousse, ils s’accrochent. Elle les piétine, ils rebondissent. Elle les ignore, ils se cramponnent au réel. Demain est un autre jour, mais comment aurait-elle envie de cet autre jour, de ce demain ? Les jours se sont succédé, rien n’a changé depuis, la vie se poursuit malgré le quotidien, les jours brumeux, les incertitudes. Elle attend, n’en finit pas d’attendre. Elle pense que demain est loin. Elle se referme sur aujourd’hui. Pourtant, demain est un autre jour, il semblerait.



[Ateliers été 2021_Tiers Livre_F.Bon]

12/07/2021

comme un air de feuilles libres

 comme un air de feuilles libres


photo ©DEP

C’est un début de liste, un peu timide, une peu fébrile, quelques textes qui émergent dans ce questionnement et cette approche de soi, des textes choisis dans l’émotion du souvenir de la rencontre et de l’empreinte qu’ils ont laissée, des textes qui je crois m’ont accompagnée dans mon travail sur l’écriture, dans l’apprentissage de ma propre pratique. Chacun à leur manière, dans leur générosité, leur singularité et leur diversité ils m’ont permis petit à petit de nourrir mon espace d’écriture, de tenter de construire mon univers et d’avancer en terrain protégé malgré le doute insistant.


SENTIMENTHÈQUE

 

De L’Étranger (Albert Camus) : un instant ramassé dans un éblouissement, un flottement, une sensation. Un texte relu régulièrement comme un besoin viscéral de s’y replonger, de revivre à l’infini ce moment de grâce où l’écriture se dissout dans un rayon de soleil. Comment réussir à capter le lecteur au point qu’il se souvienne de cette sensation toute sa vie ? C’est ce qui m’est arrivé.

 

De Loin d’eux (Laurent Mauvignier) : comme un plongeon dans un monologue infini, la découverte d’une autre langue, une révélation, comme l’envie d’y toucher, de s’y frotter, d’ouvrir des portes et une admiration inconditionnelle depuis ce début jusqu’à aujourd’hui. Une écriture en construction, en révélation. Suis fascinée. Beaucoup à apprendre de ces textes.

 

De La Mort du jeune aviateur anglais (Marguerite Duras) : comme un écho percutant, une gifle cinglante, une parole envoutante, une écriture du questionnement permanent. Je suis tombée en amour avec ce jeune aviateur dès la première lecture et depuis, je le garde dans mon cœur et j’y reviens pour ne pas l’oublier, pour m’imprégner des mots de celle qui jamais ne l’abandonnera.

 

De L’Écriture comme un couteau (Annie Ernaux) : c’est ça, comme un couteau. Que de choses à aller picorer. Un livre de bord qui me ramène sur le chemin de la pratique de l’écriture.

 

De Ellis island (Geoges Perec) : des thèmes qui me parlent, que je partage et que j’ai envie de creuser, d’aller bousculer, questionner encore et encore l’identité, l’exil, l’errance, la mémoire, la trace, l’espoir…

 

De En attendant Godot (Samuel Beckett) : j’attends toujours et encore… un texte qui a marqué ma jeunesse par sa modernité. Enfin, ça parlait autrement !

 

De Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Stig Dagerman) : là où chaque mot dévoile un esprit qui se meurt. Tout est à garder, à se souvenir.

 

De Écrire (Marguerite Duras) : parce qu’il m’est indispensable et que je m’y replonge régulièrement. Un livre usé, malaxé, qui donne envie de se surpasser dans ce qu’on a creusé avec sa propre histoire d’écriture.

 

De Œuvres (Édouard Levé) : un truc délirant qui jamais ne s’achève.

 

De L’Été 80 (Marguerite Duras) : un été comme j’aurais aimé l’écrire avec mes mots, mon histoire et l’Histoire. Variations éclatantes.

 

De À ce stade de la nuit (Maylis de Kerangal) : c’est justement là que j’aimerais me trouver dans l’écriture. Inspirant.

 

De Elle regarde passer les gens (Anne-James Chaton) : parce que parfois ça peut être si simple… et ça marche !

 

De La Première année (Jean-Michel Espitallier) : comme une ode à la vie. Des mots partagés et au-delà du thème, une manière juste de les accorder qui me touche. 

 

De Bleuets (Maggie Nelson) : du détournement d’une couleur et parce qu’il n’existe aucune catégorie pour le qualifier, c’est cette folie qui me grise. 

 

De M Train (Patti Smith) : s’y couler, s’y glisser, y rester. La poésie dans les mots. Un texte que je ressens très fort et qui m’emporte loin. Trouver les mots, le chemin pour croiser sa route, voilà ce qui me porte.

 

De Antigone (Jean Anouilh) : parce que c’est elle, parce que ce n’est pas moi, parce que s’en approcher, pas loin, tout près, en rêver, aller jusqu’au bout et même ailleurs. Fort, très fort.

 

De Déjeuner du matin (Jacques Prévert) : des gestes si simples, si incarnés et parce qu’à la fin, je pleure toujours. Touchée ! 

 

De « Sous la cendre » dans Ni fleurs ni couronnes (Maylis de Kerengal) : une première rencontre avec des mots posés autrement, avec une autre résonnance. Et depuis, je n’ai rien manqué, suis toujours aussi fascinée par l’exactitude de cette écriture. Un monde à part et j’y travaille, j’essaie.

 

De Journal du dehors (Annie Ernaux) : comme une nécessité du moment, un appel à figer l’instant dans une forme d’ordinaire de la vie. C’est bien aussi le regard de la vie autour.

 

De Dora Bruder (Patrick Modiano) : comme j’aime y retourner, reprendre encore et encore ce parcours, chercher Dora quelque part, retrouver sa trace. Toujours l’espoir que la fin sera différente.

 

De Journaux (Sylvia Plath) : parce que c’est la vie malgré tout dans tout ce qu’elle a à offrir ou à nous confisquer, parce que c’est l’intimité de soi et parce que j’aurais aimé garder mes écrits depuis mon adolescence.

 

De Mermoz (Joseph Kessel) : me replonger dans ce qui m’a nourrie dans ma jeunesse, croire en l’amitié profonde et l’exposer, évoquer avec passion ceux qui nous donnent le goût d’avancer.

 

De De sang-froid (Truman Capote) : le réel dans le réel. Glacial. Une ouverture vers le reportage. Une expérience. Parce que j’aime ça aussi, l’écrit au plus près de la réalité, le témoignage.

11/07/2021

le regard de ceux

 le regard de ceux


photo ©DEP


celle qui voyageait à côté d’elle


voilà, je n’ai pas osé, elle n’a pas osé non plus me dévoiler la raison de son voyage, ni moi de bredouiller quelque chose d’inaudible sur la nécessité de mon déplacement, peur que mon chagrin la contamine, brouille davantage son visage déjà si fermé aux autres, et puis j’ai tout de même tenté, au bout de quelques heures, par balbutier quelques mots sur rien sans trouver d’écho, juste pour être aimable, pour que quelque chose se passe, pour que le trajet devienne moins pesant, alors elle s’est retournée vers le hublot, le pare-soleil à moitié descendu, a plongé son regard froid dans le vide des nuages, et toute cette vie déjà de trop qui se déverse sur le rien et s’épuise, grappille du temps, c’est ce qui m’est venu à l’esprit à ce moment-là en jetant à la dérobée un œil vers elle, c’est blessant tout de même cette attitude, sa distance me glace, besoin de réconfort, ça aurait pu être comme une sorte de cri de soulagement, un échange et cette tension trop longtemps contenue qui s’échappe, fait entendre sa voix, exporte ailleurs le mal qui me ronge, rien à faire, elle reste muette, dans le silence énigmatique de son monde, comment elle a pu ignorer le présent alors que, peut-être, elle est venue chercher une part d’elle-même dans un monde inconnu, c’est l’impression que je ressens en la regardant une dernière fois, je ne peux rien pour elle. L’appareil s’est posé, elle a abandonné sa place, a suivi le flux sans un regard vers moi, sans se retourner, évitant une dernière fois tous ces mots enfouis qui auraient pu être dits

 

 

celui qui fait fonction de chauffeur


j’étais prévenu, l’aéroport d’Haneda, 18h30 et maintenant le vol a du retard, je fais les cent pas dans le terminal 3, puis un flux de passagers se déverse à côté de moi, je la repère, lui fait un signe, elle dit à peine bonjour, laisse un espace conséquent entre son corps si frêle et moi, puis c’est quelques mots prononcés avec maladresse, une voix détachée d’elle-même bordée par le silence du parking, une demande, celle du temps du trajet et à ce moment-là, j’ai su que les choses allaient résister, se cogner au présent et j’ai dit qu’à cette heure-là, il serait plus long que prévu, alors elle a fermé les yeux, peut-être pour atteindre tout ce qui sans doute lui semblait inaccessible éveillée, peut-être pour ne pas dire sa solitude, la crainte de demain, peut-être pour faire résister les choses dans leur forme actuelle, les choses hors d’atteinte, éviter de les dénouer, tout ça pour résister, sans doute pour glisser son corps dans l’espace du monde là où elle aimerait poser ses mains vides juste pour s’en approcher et là, oubliant jusqu’à sa présence, je me suis tu jusqu’à l’arrivée

 

 

celle qui passe, discrète, comme un voile de brume 


c’est un souffle de vie étouffée, l’empreinte d’une existence en sourdine, voilà ce qu’elle a ressenti de cette hôte nouvellement arrivée, ce qu’elle pense avoir détecté à la seule vibration laissée après son passage dans le hall d’entrée et ce n’est pas rien car il n’y a pas de place pour imaginer ce qui pourrait se passer demain, plus tard, il faudrait se préserver de tout débordement parce qu’elle incarne à ce jour l’inconnu et que ce questionnement la submerge, l’empêche de dormir, monopolise son esprit malgré ses efforts pour mettre à distance son ressenti et c’est dans le silence de la nuit qu’elle imagine son corps allongé sur le futon déplié, peut-être aux prises avec le décalage horaire, cette sensation d’avoir oublié les étapes du jour et de la nuit, peut-être dans l’attente du jour, d’ici quelques heures, peut-être qu’elle l’imagine dans la fragilité de son sommeil, les yeux fermés, le corps lourd de la distance parcourue, si lourd, le cœur palpitant rien qu’à l’idée d’être ailleurs, alors il faudra bien en finir 



[Ateliers été 2021_Tiers Livre_F.Bon]

10/07/2021

Comme un éloge à la lenteur

comme un éloge à la lenteur


photo ©DEP


 C’est le matin tôt. Personne dans la cuisine. Sur la table basse, au milieu de cette surface vide, dans un petit récipient en porcelaine, un beignet. Juste là, posé, présent dans sa forme la plus simple. Sans doute encore chaud. Alors elle attend. Elle attend de loin, assise sur un coussin, les jambes repliées, dans l’atmosphère indescriptible de ce moment insolite. Elle attend que le souvenir remonte, tout en le tenant à distance, pour lui laisser le temps de cheminer, de se reconstituer, comme s’il lui fallait observer un rituel, la rassurer, écarter le présent et la replonger dans un ailleurs déjà visité. Maintenant, elle sait, elle l’a reconnu, cette petite chose aux contours parfaits, c’est un dorayaki. Une merveille de saveurs veloutées. Dans son souvenir, c’est comme un éloge à la lenteur qui lui revient. 

Un jour, ou plutôt une fin de nuit, une odeur subtile de cuisine l’avait réveillée au seuil d’un rêve dont elle ne connaitrait jamais les contours. Elle s’était levée, rapprochée à pas de loup de la cuisine et elle avait observé T. préparer l’anko, la pâte de haricots rouges sucrée, suivi ses gestes comme un ballet minutieusement chorégraphié, précis, harmonieux. Ici, pas besoin de mots pour nommer la scène, un autre langage évoluait dans la magie des casseroles comme un rituel initiatique. Ici, la cuisine est un art où un plat réussi allie saveur et esthétique, s’apprend avec les yeux et le cœur. Au fond du récipient, les haricots azuki subissent un rituel scrupuleux cadencé par des rinçages, égouttages et des cuissons précises les rendant souples et tendres. Ces étapes sont capitales. La spatule en bois œuvre avec la précision d’une baguette de chef d’orchestre. Elle se promène au fond du récipient, droite sans écraser les haricots, sans les malaxer, petit à petit. Pour le moment, ils mijotent. T. est concentrée, attentive à ne pas remuer trop vite, elle parle même aux haricots, leur murmure des mots magiques connus d’elle seule. Quand c’est au tour d’ajouter le sucre, elle diminue le feu et s’applique à prendre à deux mains le sirop de glucose, d’un coup le jette dans le récipient. Sensation humide, peut-être désagréable, mais c’est ici que s’apprend le geste dans l’intimité d’un corps penché au-dessus des fourneaux. Quand la pâte à la texture liquide atteint une jolie teinte foncée, T. la coule dans un plat pour la faire refroidir le temps de cuire les galettes. 

Elle est toujours là, dans l’ombre de la nuit, assise, les yeux fixés sur le dorayaki, présente à ce moment où elle sait le bonheur à venir. Une bouchée, une dégustation au ralenti, et c’est toute une histoire qui s’écrit dans le silence du jour naissant, comme une saveur enregistrée, inscrite dans la mémoire gustative de son corps. 


[Ateliers été 2021_Tiers Livre_F.Bon]

05/07/2021

le quartier la nuit

le quartier la nuit


japon 2020_©DEP


silence, nuit profonde, quartier muet, lumière extérieure tamisée, poteaux électriques, verticalité, fils électriques, multitude, enchevêtrement, nœuds, isolateurs, conducteurs, coupe-circuits, transformateur, haubans, traverses, lampadaires, maison basse, toits de tuiles grises, vertes, guirlandes colorées, éclairées, grincement des gonds, porte en bois, fermée, verrouillée, intimité, panneaux coulissants, reflets laiteux, vapeur d’un bain, bassin de bois lisse, eau brulante, humidité, miroir embué, petits pas précis, paupières baissées, saveur du thé vert, bol de riz, cloison en bambou, méandres de plancher, jardin intérieur, allée de sable, eau vive, érable et cerisier, azalées, bassin de carpes, lanterne de pierre, poignée ronde, chaînette, pas de porte, sonnette, absence de paillasson, pots de fleurs de saison, jardinières de cactus, boîte aux lettre rouge, poubelles adossées à la palissade en bois, ombre des réverbères, rue étroite, végétalisée, érables miniatures, un frisson dans les arbres, atmosphère paisible, autour ruelles sinueuses, discrètes, sérénité, trottoirs discrets, trop discrets à peine dessinés, soudain, aboiements d’un chien dans le lointain, son tamisé d’une émission de télévision, ondulations d’un rideau, silhouette éphémère, voilée, contre-jour, discrétion, vélo suspendu à un balcon, céramique bleue, vieilles rues pavées, devantures, enseignes lumineuses, éteintes, échoppes, fermées, porte coulissante, tirée, cadenassées, puis miaulements de chats, déchirants, envoutants, rues désertes, à gauche, un sanctuaire, fermé, volutes d’encens, en suivant, un cimetière endormi, havre de paix, chats bienveillants, un jardin assoupi, camélias, haie de bambous, étang aux carpes, nénuphars, nuit sombre, en rentrant, un thé noir


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04/07/2021

le glissement subtil d'une cloison

 le glissement subtil d'une cloison


JAPON 2020_©DEP

De ce nouveau départ, ce qu’elle ne sait pas encore c’est ce frisson procuré par la caresse du vent dans le feuillage tendre des érables, la splendeur des cerisiers en fleurs et le dessin des pétales sur le sol comme un instant de poésie saisonnière, la délicatesse du chant du rossignol et la discrétion des perles de pluie sur les toits en ardoise. Sans doute qu’elle ne sait pas encore que ce printemps pourrait se noyer dans ses tâtonnements, ses incertitudes et ces choses qui ne peuvent prendre place que dans le silence de soi. Elle n’est pas sûre d’hier, ne sait plus vraiment ce qui s’est passé, ne sait pas quand elle reviendra, si elle revient, n’imagine pas ce qu’un retour pourrait signifier. Sa vie est suspendue à de la poussière d’oubli, mise sur pause, en apnée, en apesanteur. Elle fait le tour de la chambre sans aucune idée de l’heure qu’il peut être. Le silence l’enrobe avec cette force invisible des jours sans lendemain. La lumière matinale tarde à se manifester par l’ouverture quadrillée de bambou. Elle se recouche sur le futon, la couette à l’imprimé fleuri en boule dans un coin. Quelques heures en arrière, elle se revoit à la descente de l’avion puis s’engouffre à l’arrière d’une voiture avec chauffeur comme si le temps pressait, dans une forme d’urgence incontrôlée, comme si quelque chose devait la rattraper, la retenir. Et puis, que sait-elle de cette femme qui voyageait à ses côtés ? Certainement rien, elle ignore encore le chagrin qui l’accompagnait, ne se doute pas qu’elle venait enterrer son père, un père qu’elle n’avait jamais connu. Le chauffeur l’avait déposée dans une ruelle étroite devant une petite maison en bois, il avait attendu qu’elle rentre pour démarrer. Aucune parole n’avait été échangée durant le long parcours depuis l’aéroport. Elle n’imagine pas encore que cet homme au costume noir, chemise blanche, cravate sombre, gants blancs et casquette, pourrait devenir une figure de premier plan dans les jours à venir. Cet homme réservé et pudique, qu’elle imagine employé de maison est certainement plus qu’un chauffeur, un être à part, parlant une demi-douzaine de langues, pratiquant l’ikebana avec élégance et le shodô surtout la nuit. Il pourrait être celui qui a déposé la pivoine dans cette pièce. Elle ne sait pas que cette machiya des années 50, aux parois en papier, à la façade discrète, écrasée entre deux résidences plus récentes, lui réserve des surprises. Peut-être que le temps viendra où le secret de sa tante, celle qu’elle considère en ces termes, celle qui était la meilleure amie de sa mère, celle qui a toujours eu un regard bienveillant sur son parcours de vie, lui sera révélé. Alors, il sera temps de prendre une décision. Sans savoir l’heure qu’il est, impossible de sonder l’épaisseur de la nuit, de savoir si le jour est imminent, elle ferme les yeux et perçoit, dans cet espace dont la maîtrise lui échappe, le renouvellement subtil du glissement d’une cloison.

 

 

Ikebana : art floral, l’art de faire vivre les fleurs

Shodô : art de la calligraphie, la voie de l’écriture

Machiya : maison en bois


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