15. le je qui tu
[construire une ville avec des mots]
Photo by Dominique Paillard |
15. le je qui tu
tu ne me vois pas, mais je suis là, pas loin, à quelques pas, je t’observe comme si tu étais devenue pour moi un ange, comme si tu avais pris la place d’un talisman, mais tu l’ignores encore, car loin de moi l’idée de me dévoiler ; je reste caché, mystérieux, invisible à tes yeux et à ton regard clair qui te projette dans un ailleurs infranchissable, un univers clos qui t’enrobe telle une carapace dans un jardin secret débordant de folie, de mots emmêlés, de fleurs géantes, de bruits inqualifiables ; je me retourne et tu n’as pas bougé, assise sur ce banc, poussée par un désir hypnotique de dévorer les lignes de ton livre jusqu’au point final, je te regarde de la fenêtre de ma chambre, te dévorant des yeux, fondant à la moindre expression de ton visage laiteux, accompagnant chacun de tes gestes repoussant une mèche de cheveux, tournant une page, remontant le col de ton manteau ou lissant les plis de ta jupe – tu me fais fondre – je t’imagine, le soir venu, grignotant les restes d’un plat mijoté, trempant un morceau de pain frais dans la sauce bien liée tapissant le fond du récipient et renouvelant ce geste jusqu’à épuisement tout en lisant, captivée, la fin d’une nouvelle de Raymond Carver ou Katherine Mansfield ; t’imaginer, te rêver, t’observer à ton insu, te suivre dans la rue – à une distance raisonnable – et me délecter de ton parfum sucré, voilà se qui m’importe la plupart du temps et toutes ces images enjolivées que j’emmagasine qui débordent de toi, de ton sourire, de tes rêveries quotidiennes, de tes paroles aussi bien surprenantes que distrayantes, tout ce qui fait partie de toi, qui est toi, tout cela enchante chaque minute de mon insipide existence, de mes heures passées loin de toi ; aussi, considère-moi comme un admirateur secret qui gardera au fond de lui l’empreinte de ton image charismatique sans jamais te l’avouer et si un jour
[contribution atelier F. Bon - Tiers livre 2018]