11/07/2018

20. sans vous
[construire une ville avec des mots]


Photo by Dominique Paillard
20. sans vous

Fermeture du musée à 20 heures le mercredi. Les veilleuses de nuit sont activées. Moment d’intimité singulier, à la lisière du monde. Vidé de ses âmes, l’espace intérieur retient son souffle. Ne reste que les longues conversations muettes, les coups d’œil furtifs que se renvoient les toiles de l’exposition temporaire dans un va et vient incontournable où se croisent ceux dont le monde extérieur ne veut plus. Une existence clandestine se fabrique dans l’antre secret des murs de pierre supportant des toiles encore dégoulinantes des peintures fraîchement utilisées. D’un clap tout en retenu annonçant une fin de séance, les portes se sont ainsi refermées sur le vernissage pompeux de ce jour. Se dessine alors une vie parallèle où chaque souffle se perd dans l’impalpable espace confiné, où certains murmures insondables font écho aux échanges sourds que se renvoient les voutes de l’espace principal. Des fauteuils creusés par l’inactivité et l’ennui, seuls témoins de l’usure du temps, décompressent d’un profond désœuvrement diurne. Les ombres stagnent comme plongées dans un comma intemporel, se vidant de toute substance matérielle pour ne laisser qu’une trace que l’oubli seul retiendra. Reléguée dans un coin, négligée de tous, une horloge pleure le gong muet de ses heures écoulées dans l’indifférence collective. Et dans cet univers inerte, seul un léger filet d’air venant de nulle part semble effleurer et ranimer ce qui reste de poussière sur le sol en béton ciré. La nuit veille et convoque en ce lieu démuni de conscience l’âme immortelle des fantômes qui seuls possèdent la faculté de retranscrive l’autre côté, celui du monde dérobé. Dehors, les bruits sourds de la rue rappellent l’existence d’une vie parallèle.



[contibution atelier F. Bon - Tiers livre 2018]