34. nord sud est ouest
[construire une ville avec des mots]
Nord – Des chantiers à tous les coins de rue. Marteaux piqueurs, camions benne chargés de tonnes de gravats, fourmillement d’une multitude de casques jaunes de protection, champ de grues rouges, jaunes. La ville entre destruction et reconstruction. Comme si le quartier avait été pulvérisé par une déflagration immatérielle. Depuis, c’est une renaissance. Réservoirs d’eau. Navigation improbable. Bassin à flot. Mécanique de l’écluse. Lac. Plage artificielle, chemin de promenade en terre et rivage sauvage. Ne pas trop s’éloigner. Revenir au plus près. Un œil à l’affut, une oreille aux aguets. Les nouvelles constructions prennent racine dans les entrailles du sol, affleurent à la surface dans un enchevêtrement de ferraille, tuyaux et béton pour ensuite se jeter à la conquête de l’espace environnant. L’acier, le verre, le bois et la pierre enrobent les œuvres architecturales et les livrent ainsi aux regards des passants. Le temps s’écoule, se construit et la mutation s’opère généreuse et surprenante.
Est – Le fleuve se love au creux de la pierre, l’habite, la ronge et dissocie la ville en deux mondes contrastés. La frontière invisible et l’envie de traverser pour aller de l’autre côté. La ville elle-même et pourtant autre. Le citadin expérimente, interpelé par le sceau de la fissure liquide, empreinte indélébile à jamais inscrite dans l’histoire collective. Au loin les trains filent vers un avenir en écriture enjambant les eaux boueuses chahutées par l’écho de la marée lointaine. Les collines engloutissent l’horizon, masquent l’ailleurs, attisent la curiosité, développent un imaginaire débridé. L’espace de l’entre deux libère un souffle d’avenir en réflexion. Comment vivre la ville de l’autre côté ? Ici tout se franchit au-dessus des arches de pierre, des pylônes en béton ou des structures métalliques de l’époque Eiffel. Le lien s’opère. Les échanges s’amplifient. Rien ne peut arrêter cette marche folle vers l’autre rive. La face B de la ville.
Sud – Gare de tri. Une autoroute de voies ferrées large de dizaine et de dizaine de barres d’acier. Chemin de roulement, de guidage, de raccordement. Plateaux tournants, leviers et plaques métalliques. Grincement des freins, choc sourd du raccord des locomotives. Wagons en attente, en chargement, en partance. Couleur rouille des rails, graisse qui suinte des ossatures mécaniques. Stockage des porte-conteneurs et chargement des wagons couverts, plats, réfrigérants, porte-automobiles, à bestiaux, à copeaux. Hangars gris, portes coulissantes, stocks en attente, transvasement de marchandises. Dans le parking, attente des camions, portes ouvertes. Plus loin, un centre commercial.
Ouest – Du haut de la flèche de la basilique, porter le regard vers l’ouest. Apercevoir par temps dégagé ou imaginer, au loin, l’océan. Redescendre et prendre le bus transrégional. Traverser les différentes épaisseurs de la ville. Le centre et ses rues étroites grouillantes de piétons aux multiples objectifs, de deux roues slalomant entre les voitures impatientes de démarrer au quart de tour dès que le feu passe au vert. Ici, la ville compacte, resserrée, entassée affiche sa densité. L’agglomération glisse vers la périphérie. Les quartiers s’étalent plus aériens, moins d’ensembles immobiliers surchargés. La végétation grignote quelques mètres carrés d’espace. Le bus enjambe la rocade surchargée. Ressentir physiquement l’éloignement progressif de la ville et rentrer dans un espace plus rural. Pavillons individuels et jardins arborés. Centre ville miniature : boulangerie, rond-point, église, épicerie, école communale et mairie. Route nationale à deux sens. Le bus ralentit, emprunte une étroite départementale à travers une forêt de pins. Au bout, le parking ombragé. Et au-delà, au bout du bout de la route, le sable blond et l’océan. Immense.
[contribution atelier F. Bon - Tiers livre été 2018]