15/08/2018

33. Transaction

[construire une ville avec des mots]

La rue sent bon la baguette mince et croustillante, le croissant au beurre. Elle s’étire sur plusieurs centaines de mètres et s’ouvre sur des cours et des ruelles improbables. Est-ce le sens unique imposé aux véhicules qui lui confère ce charme particulier ? Les trottoirs paraissent plus larges et accueillent une foule infatigable de piétons qui butinent, inlassables et curieux, d’un commerce à l’autre. Ici ça vit, ça bouge, ça fourmille à toutes les heures de la journée, même de la nuit. Le matin, la jeune femme au manteau rose prendre son petit déjeuné en terrasse, le serveur nettoie la table d’un geste souple et routinier et prend la commande habituelle en haussant les épaules, dans l’appartement du dessus, une mère prépare à la hâte le goûté de son fils qu’elle glisse dans son cartable, l’épicier réapprovisionne son étal qui déborde sur le trottoir, un livreur gare sa camionnette en double file et rentre dans l’agence de voyage avec un paquet volumineux, il fait signer le reçu et d’un geste maladroit prend rapidement congés de la responsable, tandis que dans la chambre froide, le boucher termine de couper, découper, entailler, ficeler des kilos de viande, les muscles meurtris par le labeur, une lycéenne court après une camarade et manque de trébucher juste devant un sans abri adossé à une porte cochère, à la réception de l’hôtel, un commercial tend sa carte bleue professionnelle et demande si le parking est compris, le facteur slalome entre les passants et n’hésite pas à klaxonner pour se frayer un passage, une femme âgée étale sur la toile cirée des photos de famille et verse une larme à la vue de son fils disparu, un couple échange sur la destination de leur prochain voyage et ne semble pas d’accord, exténuée, la patronne du night club compte et recompte la recette de la nuit. 


[contribution atelier F. Bon - Tiers livre été 2018]