07/09/2018

37. enfilades

[construire une ville avec des mots]

Une porte claque. Une autre s’ouvre. Un courant d’air frais traverse le couloir, se glisse dans un enchaînement de pièces assombries par l’opacité des persiennes. Un cabas débordant de courses attend dans une profonde solitude sur le sol encore humide de la cuisine. Derrière le mur où la pendule égraine des heures vides, des mots résonnent, orphelins, et se perdent dans l’espace confiné. Fragments cryptés d’une lointaine conversation téléphonique. Un rai de lumière pâle sous la porte de la salle de bains. A l’intérieur, une adolescente brosse les longs cheveux d’une fillette. Chignon haut et couronne de fleurs blanches embellissent le visage enfantin. Dans l’appartement d’à côté, répétition d’un solo de violon. La porte d’entrée est restée entrouverte. La cage d’ascenseur diffuse un parfum musqué, énigmatique. Sur le paillasson de l’appartement du dessus, des chaussons roses. Un cri d’enfant, profond, sincère et une minuscule araignée sur le mur des toilettes. Une mappemonde, un ours en peluche, un puzzle en devenir. Dans la salle d’attente, des revues usées, écornées, déchirées datant de la dernière décennie. Dans la chambre de bonne, une guirlande de boules colorées s’étend, nonchalante, le long de l’étagère saupoudrée de poussière. Le temps s’étire comme ces enfilades de pièces, d’appartements, de bâtiments qui sont autant de témoins pour ces histoires qui se déplient, s’effilochent et s’oublient dans un murmure, dans un soupir.



[contribution atelier F. Bon - Tiers livre été 2018]