44. livres enfouis
[construire une ville avec des mots]
La phrase est tendue entre réel et fiction. Il est question du temps, de ses renversements inattendus et choquants, de son instabilité provoquant confusion et questionnement, de la pluie trop présente en saison estivale, du soleil maquillé de lourds nuages gris venant du large, prêts à déverser l’élément liquide dont ils sont gorgés au-dessus de la ville encore sous l’emprise de la combustion. Déroutant. Comment faire confiance au temps réel s’il se laisse influencer par le cours du récit ? L’urgence de le retrouver dans sa continuité connue, reconnue. Le déplacement dans la durée de l’espace comme une marque rassurante dans une immobilité programmée, à la recherche de stabilité. Mais le retour à la normalité n’entraine que déception et tristesse et saupoudre de grisaille un cœur déjà lourd de rendez-vous manqués.
La ville comme personnage principal du récit, la ville comme une offrande à elle-même, la ville comme un parcours initiatique. Une découverte. Une révélation. Les phrases s’enchaînent, dévoilent l’intimité d’une rue, le souvenir d’une odeur sucrée, un instantané volé à la fuite du temps. Les mots s’enflamment, percutent le réel, simulent la fiction en devenir, comme s’ils étaient la source même d’une définition de la ville. Et dans un champ d’infinitifs, le récit se déplie, se roule et se déroule comme une invitation à flâner dans cet espace d’infinies découvertes où la soif de transmettre les mots/maux de la ville jamais ne s’épuise.
Les mots fusent, virevoltent, rebondissent de phrase en phrase, se heurtent à la ponctuation. Et puis, il y a cette omniprésence du « il » qui rythme les débuts de phrases et accueille à sa suite les verbes d’action. L’œil s’accroche à ce « il » comme une entité envoutante, n’envisage aucune échappatoire possible, le façonne dans la profondeur de sa rétine, l’accompagne dans sa course aux phrases courtes et cadencées. Puis, dans un mouvement élégant, le texte relâche la tension, sculpte le lieu, s’empreigne de l’atmosphère bienveillante avant de se ressaisir et d’aligner une vague d’infinitifs préposés à stimuler l’attention du lecteur qui n’en finit pas de se laisser guider à travers la force et l’intensité du récit.
[contribution atelier F. Bon - Tiers livre été 2018]