43. frontière close & ouverte
[construire une ville avec des mots]
Au commencement, la longue gestation et maturation du texte à écrire, puis le doux frottement de la pointe du stylo sur le papier ou l’enfilade de lettres en arial, georgia ou times new roman sur la page Word de l’ordinateur, et pour finir, un texte, une accumulation de textes, des pages noircies de mots construisant des histoires, mais après, que reste-t-il de cette débauche de phrases successives, des piles de feuilles recouvertes d’encre invasive ? Et cette sensation d’avoir encore tant à écrire, tant à raconter, la tâche semble infinie. Et la question jaillit, fuse, se dévoile dans toute sa brutalité : que resterait-il à écrire ? Ce qu’il resterait à écrire se nourrit de la substance éphémère que libère un vaste chantier ouvert à tous les possibles. Ce qu’il resterait à écrire donnerait naissance à ce qui n’a pas été exprimé ou formulé en des termes soigneusement choisis, ce qui reste latent dans les méandres de l’imaginaire, ce qui a été retenu par pudeur, les non-dits embarrassants, les évidences insoumises, le souvenir ranimé d’un mot, d’un lieu, d’un visage oublié. Et l’angoisse de ressentir l’impuissance des mots à sortir, l’angoisse de ressentir le temps s’allonger et se figer dans la texture des écrits déjà réalisés. Alors, réaliser le chemin restant à parcourir, réveiller les mots, secouer et dépoussiérer les textes, écouter leur histoire, travailler la matière dans ce qu’elle a de plus subtil, de plus profond, la réanimer. Le travail de réécriture peut commencer. Relire dans la profondeur de la matière, marbrer le texte de renoncements, dévoiler d’autres possibles, questionner l’essence même du geste dans toute sa générosité. Et offrir à l’écrit la possibilité de s’élancer dans le vide, l’inconnu préoccupant en proférant les mots, les uns après les autres, leur donnant du poids, du relief, un souffle de vie afin de les délivrer, de les abandonner, démunis, face à leur destin.
[contribution atelier F. Bon - Tiers livre été 2018]