[construire une ville avec des mots]
9. bande son
Ça commence par des voix, des voix familières qui la berçaient quand, le soir venu, elle s’endormait en boule sur le canapé. Ils étaient tous autour de la table, prolongeant un repas interminable, à s’interpeler, à s’apostropher, à se titiller, à s’opposer, à s’engueuler, à faire vibrer les murs. Les verres tintaient, les couverts s’entrechoquaient. Parfois, des zones de silence s’installaient. Alors, dans un demi sommeil, elle tendait l’oreille et se concentrait sur les respirations. Elle devinait les hochements de tête, les regards foudroyants ou langoureux. En apnée, elle attendait que la parole revienne, redonne vie à ce repas familial. La fenêtre était ouverte sur la rue. La nuit accentuait certains bruits, d’autres semblaient étrangement atténués. Des passants se croisaient en silence et l’écho de leurs pas glissait sur le trottoir et se diluait dans la nuit profonde. Elle percevait des sons étouffés comme des chuchotements qui s’échappaient du bar au coin de la rue. La chaîne d’un vélo grinçait. Une voiture se garait en faisant vrombir son moteur en surchauffe. Dans la salle à manger, les conversations avaient repris, à la fois monotones et feutrées comme si, à cette heure avancée de la nuit, les secrets de familles circulaient en catimini pour aller finalement se perdre au-delà de la fenêtre ouverte dans l’obscurité.
[contribution à l'atelier F. Bon - Tiers livre 2018]