Crédit photo dominique estampes paillard
RECTO
Ce désir intense de creuser dans ma mémoire. Te retrouver ma terre natale. Répondre à un appel inscrit dans la mémoire de la chair. Rechercher ces traces enfouies dans un souvenir trop lointain, absorbé par la mémoire inexistante d’un début de vie. Il est écrit sur mon acte de naissance née à Casablanca. Ce mot, je n’ai cessé de le prononcer, je l’ai écrit mainte fois sur une multitude de documents. Il n’est que chimère. Pourtant il résonne fort en moi comme une vieille litanie. Jeune, il m’a fait fantasmer, me sentir double, m’a échappé tant de fois. Ne reste que le souvenir d’un vécu raconté par bribes, des photographies, des reconstitutions imaginaires. Part du réel, part inventée, ce n’est jamais assez. J’ai traversé la planète d’est en ouest du nord au sud et pourtant, même si j’ai effleuré ton sol le temps d’une courte escale, je ne suis jamais revenu sur le lieu de ma naissance. Cible inaccessible, en état de promesse. Je me demande où sont enfouis les semaines, les mois, où cette terre a déposé en moi la marque indélébile de l’appartenance à une histoire à la fois mienne et commune à d’autres. Les années sont passées creusant un vide, une incompréhension, une demande. Pourquoi tout ce temps à cultiver l’espoir d’un retour jamais envisagé. Ce petit coin de moi, ce petit coin de terre me colle à la peau. Que faire de l’éloignement quand il est trop distendu. Que faire de ce désir caché qui dort en moi ? Je reprends mes archives et j’entends le vent souffler, gronder l’océan. Le banc des habitations surgit des photos, m’éblouit. À force de les regarder, elles sont miennes. Je leur invente une histoire, mon histoire. J’ouvre des pages sur internet à la recherche d’un indice. Elles restent ouvertes des mois dans des onglets qui finissent par disparaître. Capturer des images, noter des témoignages, étudier des cartes anciennes, me projeter. Emprunter des chemins tortueux, fuir la peur. Revenir n’est pas rien.
VERSO
Tu pourrais me dire, pourquoi n’es-tu jamais revenu ?
…
Tout a toujours été prétexte pour ne pas franchir le pas, avoue !
…
Tu attendais quoi ? Oui, ton père ne t’a jamais ramené là-bas, oui, tu pensais secrètement qu’il le ferait, oui, il ne s’est rien passé. Sais-tu pourquoi au moins ? As-tu demandé ? Non. C’est trop tard maintenant.
…
Pourras-tu franchir le pas ? Ah, tu as peur d’être déçue, mais de quoi ? tu n’y connais rien à cette ville, elle a tellement changé…
C’est ça, elle a changé et moi aussi et je ne connaîtrai jamais la ville d’avant.
C’est ça ton problème ? Non, tu te méprends. Le mal est ailleurs.
…
atelier d'écriture Tiers Livre, François Bon