20/06/2023

atelier écriture_cycle été 2023 #02 | quand le soleil s’efface du présent


 Souvent elle s’est projetée dans cet espace et ne sait plus très bien aujourd’hui comment le définir, le nommer, l’habiter. Il est à la fois présence et absence, souvenir et réalité. C’est un lieu traversé qui ne ressemble en rien au souvenir censé le représenter. Il faut l’imaginer, le recréer, se l’apprivoiser encore et encore. Bien sûr, elle le reconnait ce lieu, identifie des ombres familières, les taches sur le mur à l’entrée à gauche, la tapisserie d’époque défraichie, la boule de bronze absente de la rampe de l’escalier, la fenêtre du fond au rideau en mousseline de soie jauni et à moitié tiré. Bien sûr, il lui échappe une nouvelle fois comme s’il lui était confisqué. Parfois elle ne reconnait rien, se perd, tourne en rond, part à la découverte d’une pièce secrète, imaginée, alors l’insatisfaction la submerge. Bien sûr, comment savoir si le temps passé s’est un jour arrêté sur un souvenir dérobé qu’elle ignore encore ? Là, l’interrupteur, celui qui sautait toujours à la première utilisation de la journée. Là, le trou dans le mur derrière la tapisserie décollée, elle y avait glissé un bout de papier sur lequel étaient notés les premiers mots d’un roman qu’elle imaginât sans fin ou encore le nom de son premier flirt. Là, son reflet à peine recomposé dans le miroir piqué de taches, la faute au tain altéré. La pièce qu’elle arpente aspire le vide, amplifie les battements de son cœur. Dehors, le soleil pâlit, s’efface du présent. Peu à peu, la perception du temps passé se répand dans la rue déserte. Elle s’est endormie sur le plancher, recroquevillée, la tête posée sur sa veste en jean. Un peu plus loin, une silhouette.

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