27/02/2023

carnet|février /// 2023

 


photo©DEP

100 mots, tous les jours ou presque posés comme ils viennent... 


crnt|27•02•23

Quand les âmes du quartier du port s’envolent ailleurs, ne pas les retenir. Et puis février est un bon mois pour s’évader, s’esquiver, se faire oublier. Milieu de l’hiver, allongé dans la neige fraîchement tombée sur le quai, à peine réchauffé par un rayon de soleil, les yeux fixant le ciel et ce minuscule nuage tel une boule de coton moelleux navigant dans cet espace illimité, c’est une situation insolite. Personne ne l’a évoqué dans le journal du village. Les âmes du quartier du port s’en sont aller, personne pour les retenir, personne pour le signaler, personne pour les attendre.


crnt|26•02•23

Rouler dans la nuit, la radio branchée sur une station smooth jazz et l’esprit s’échappe, divague, entre dans la dimension du temps dilaté. Le paysage défile, inconsistant, dans une pénombre parfois inquiétante. Et c’est comme si la vie défilait au rythme lent des minutes devenues disproportionnées dans cette habitacle réduit au strict minimum. Envie de se perdre dans le cœur du monde. Évasion. Entrouvrir la fenêtre, entendre le vent s’engouffrer et sentir sa fraîcheur se déposer sur les épaules dénudées. La couverture est accessible sur la banquette arrière, se retourner et ressentir comme un frisson de satisfaction parcourir le corps.


crnt|18•02•23

Présence bientôt devenue souvenir de ce bloc de béton trop envahissant, encombrant, détesté. Perte d’un volume depuis longtemps rayé de la géographie locale. Évacué, délabré au fil du temps, délaissé aux intempéries et aujourd’hui démantelé. Ne reste ce jour qu’un lambeau de structure destiné à la poussière, à l’oubli. Demain sera plus tranquille, peut-être, plus serein. Et de cette cicatrice qu’on va s’obstiner à polir, à effacer, subsistera un fantôme, un bâtiment invisible aux non-initiés, mais présent dans une mémoire collective qui ne demandait qu’apaisement ou anéantissement à jamais. Demain révèlera un autre lieu, plus paysagé, plus végétal, plus adapté.


crnt|11•02•23

La route défile, parallèle à l’estuaire. Le soleil tape sur la carrosserie, réchauffe l’habitacle. On gare le véhicule dans une rue proche de la plage. Sur la gauche, il est encore là, déjà blessé, abîmé par une semaine de démantèlement. A terre, des blocs entiers de béton encore tagués. Alors fixer ce temps inscrit dans l’éphémère des derniers jours d’un bâtiment décrié depuis des décennies. Autour du périmètre de sécurité, regards croisés, muets, chuchotements déplacés, mots emportés par la brise. De la vue rapprochée, on prend maintenant du recul, la plage à marée basse. Et déjà le monstre n’est plus. 


crnt|07•02•23

Tremblement des paupières, regard humide. La main droite cherche le portable au fond de la poche du tablier de travail. Dans le couloir, le charriot de nettoyage attend. Son voile légèrement déplacé sur ses cheveux, elle hoche de la tête, ses yeux se voilent, son tablier mal ajusté cache une robe sombre aux formes indéfinies. Elle montre l’écran de son portable. Une vidéo défile sur un immeuble en train de s’effondrer. Incompréhension. Deux, trois mots articulés avec difficulté, famille morte, beaucoup de blessés. L’inquiétude palpable se cogne contre les murs ici debout. Ce matin, le jour s’est levé sur l’horreur.


crnt|03•02•23

J’ai éteint la lumière pour mieux voir le dehors, apprécier les contours de la vie, me jeter dans demain tout en chérissant le moment présent, celui par lequel on existe, celui de l’instant incontournable, celui de la réalité qui fait du jour qui se lève un spectacle unique même s’il se renouvelle au quotidien dans des variantes explosives encore inconnues de nous. J’ai éteint la lumière pour accepter le temps qui passe, le palper, sentir son léger souffle sur ma peau, me dire que ce n’est pas grave, que la vie restera présente aussi longtemps que sa beauté se répandra.