31/05/2023

carnet | mai ///2023

 

©dep

100 mots, tous les jours ou presque posés comme ils viennent... 

crnt|31•05•23

Observer la vie de l’intérieur. Être en attente, en veille du monde, de son mouvement, de son souffle, d’un signe. Respirer la vie du dehors, lui donner du relief, du volume pour mieux l’arpenter, la ressentir et l’aimer. Écrire ces mots comme si un fragment de soi se révélait par magie. Écrire ces mots pour ressentir le vivant autour, l’apercevoir au coin d’une rue, entendre ses pas au bout du chemin, loin, perdu dans la campagne accueillante, fragile dans cette période de renouveau. Observer la vie dans sa splendeur quotidienne parfois sombre, parfois gracieuse, souvent incontrôlable, puissante dans ses pulsions.


crnt|30•05•23

sur les lignes du tram, le regard du dedans, la vie au-dehors. Faire et refaire régulièrement le même trajet, trois fois par semaine depuis bientôt deux ans et se demander quel sens à donner à ce temps passé dans les transports en commun, se donner plein de raisons pour arrêter le mouvement, rentabiliser les minutes écoulées dans l’indifférence de chacun ou rêver à une autre existence. User le temps, s’en faire un allié, accepter ses fantaisies et crier au monde entier, à qui veut bien l’entendre que tout ira bien et, au fil des heures, les trajets s’égrainent, demain encore.


crnt|25•05•23

sur les lignes du tram, le regard du dedans, la vie au-dehors. Un entresol comme une indécision ni en bas ni en haut, mais quelque chose qui a du sens au milieu de, avec et sans bordures. Et puis, ça interpelle ce mot d’entresol, c’est comme une parenthèse dans un espace déjà défini dans une norme établie entre le rez-de-chaussée et le premier étage. Et c’est quand on prend conscience de l’un ou de l’autre qu’un possible s’offre à nous, l’entresol. Alors, lui accorder un peu d’attention, de la curiosité, observer sa structure, ce qu’il offre, ce qu’il tait ?


crnt|22•05•23

sur les lignes du tram, le regard du dedans, la vie au-dehors. Égrainer depuis bientôt 20 ans les jours de mai jusqu’à ce jour à deux chiffres identiques, pareil à deux individus en position de prière, mémorial de nombreux souvenirs, rappel de ton existence. Ici, c’est la vie au-dedans d’une ligne interrompue trop tôt, c’est le lieu où tout s’est arrêté et s’est joué en quelques minutes, quelques secondes irréversibles tendues jusqu’à la fracture. Après, le temps a dû s’accélérer, se multiplier jusqu’à se frotter à l’irréel, l’inconcevable, alors que le tien rentrait dans une éternité insolente impossible à imaginer.


crnt|19•05•23

Du ciel bleu, du vent et de la fraîcheur. Les feuilles de l’érable japonais valsent de gauche à droite et de droite à gauche dans un rythme atypique. Des branches entières se soulèvent dans un frémissement instable. C’est comme une conversation agitée, saccadée, quelque chose de vivant qui s’exprime et s’accroche à la colonne vertébrale de l’érable, écoute et imprime le mouvement perceptible de chaque feuille étoilée. L’esprit du temps passé réactualise le présent à petites touches visibles dans le scintillement des astres de la nuit abandonnant au lever du jour les traces indélébiles du souvenir que le vent emporte.


crnt|16•05•23

sur les lignes du tram, le regard du dedans, la vie au-dehors. Et si tout avait pris de l’ampleur là, au commencement de l’heure bleue comme si le rythme du temps se comptait en battement d’ailes, le regard tendu vers un horizon brumeux dans lequel se serait égarée la lumière fragile des matins de printemps ? Les coquelicots en fleur prospèrent dans les recoins sauvages délaissés par le bitume. Le jasmin enrobe cette couche instable de l’espace prisonnier de la chaleur du soir, celle qui plombe la ville les soirs d’été, celle qui invisible s’échappe des trottoirs, de la chaussée.


crnt|10•05•23

Tempête de mots. Envie d’en découdre dans un cri intérieur. Peut-être une forme de libération au bout. Doute. Atmosphère chargée en revanche du lendemain. Juste fermer les yeux, se recentrer, inspirer lentement, sentir ses poumons se gonfler, expirer dans un souffle conscient de la vie en soi. Ralentir le temps et l’habiter dans tout son espace, plus loin encore, débusquer ses replis, les déplier un à un et s’y lover. C’est comme habiter les recoins de son esprit jusqu’à s’y fondre et confondre hier, aujourd’hui et demain, sans que la vie s’arrête pour autant, sans prendre garde à son ombre.

 

crnt|09•05•23

sur les lignes du tram, le regard du dedans, la vie au-dehors. Ciel uniforme. Dans le tram, la rue s’éloigne à sens inverse. Ligne de fuite abstraite au loin. Le monde à contre temps et les rails s’éloignent liés à la chaussée alors que l’avenir se joue dans mon dos. Température élevée, atmosphère lourde dans le tram. Trop d’humidité dans l’air. Mais le corps régule, s’adapte. Dehors, la pierre blanche éclaircit la rue, suspend l’humeur chagrine d’un matin chargé en gouttelettes de pluie fine. À peine la barrière du Médoc franchie, le tram repart abandonnant voyageurs pressés, capuches et parapluies.


crnt|04•05•23

sur les lignes du tram, le regard du dedans, la vie au-dehors. Croisé le petit homme à la casquette blanche, tête souvent dans les épaules, les mains dans les poches de son blouson. Un bonjour, un léger sourire et c’est un trou noir que mon œil capte ce matin. Suis incapable de me souvenir de ce détail et me demande pourquoi aujourd’hui. L’apparition de ce flash qui clignote dans ma tête me surprend, je recherche dans mes vagues souvenirs comment j’ai pu ne pas le remarquer. Je marche vers le tram, les voitures s’arrêtent au feu rouge, un bus aussi.


crnt|03•05•23

c’est hier dehors la nuit l’hiver et le tram descend la rue fondaudège dans un frottement de roue dans cette sensation de froid dans ce son métallique qui s’installe au creux de l’oreille quand le regard attrape au passage dans un mouvement à peine perceptible de l’œil la faille dans le mur l’ouverture rectangulaire à l’étage et cette fenêtre éclairée les rideaux opaques la lumière tamisée le passage d’une ombre comme un soupçon de vie si loin si loin mais juste derrière au point d’être trop présente et si seulement dans un souffle discret tout disparaissait pour quelques heures loin


crnt|02•05•23

sur les lignes du tram, le regard du dedans, la vie au-dehors. Ça pourrait être un matin de mai au lendemain d’un jour de fête, le soleil rosit les façades comme une promesse, dessine des reflets argentés à la surface du fleuve. Ça pourrait être une place déserte sur laquelle le souvenir des pas d’hier résonnent encore. Ça pourrait être la carcasse imposante d’un piano à queue en équilibre sur le trottoir. Parfois, la mémoire s’engouffre dans le vide, éclabousse les âmes silencieuses, tord les regards insistants. Parfois, des nuées d’oiseaux s’envolent dans le ciel, dessinent des cercles et disparaissent.


crnt|01•05•23

Une fois, ça m’a pris comme ça, l’attente. Le rideau à peine entrouvert, les yeux rivés sur la cour devant, puis la rue en pente douce. Les minutes s’écoulent, jusqu’à saisir un instant d’intemporalité. Je ferme très fort mes paupières, douleur dans les yeux, des formes et des couleurs en apesanteur, rien de concret. Le bruit d’un moteur, il s’amplifie puis s’atténue jusqu’à ne plus le repérer. Mon attention se pose sur une feuille morte, elle dévale la rue, se coince dans le caniveau. Il n’y a pas si longtemps, l’automne livrait son dernier souffle. Un murmure dans le vent.