30/06/2021
[accumulation] 3631 heures de ta vie dans les airs
27/06/2021
dans l'ombre d'une pivoine
dans l'ombre d'une pivoine
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Japon_mars 2020 [photo © Dominique Estampes Paillard] |
Peut-être lui faut-il un peu de temps pour arriver, intégrer le trajet parcouru et se projeter dans ce quelque part encore incertain, si fragile mais tellement désiré. Ici, tout relève de la nouveauté, rien pour borner le déjà connu, rien pour se repérer dans ce qui pourrait réveiller un sentiment familier, tout est si léger, si déroutant. Et ce besoin viscéral d’abandonner hier, construire dans un lieu étonnant un ailleurs, un nouveau monde aux saveurs d’aventures, de découvertes. Rire, sentir, marcher, écouter, regarder. C’est comme une histoire à écrire phrase après phrase, à construire jour après jour. Elle s’étonne. Peut-être que cet infime point du monde devient son nouveau repère, celui qui porte en lui la mission de guide dans sa quête perdue de l’espace, et lui permet de stimuler l’envie de se tourner vers l’inconnu sans avoir peur de s’égarer à nouveau. Pour la première fois depuis des mois, elle croit en ces moments furtifs où se lover, dans lesquels elle fortifie sa mémoire et convoque le présent pour le déplier à l’infini. Peut-être que ce voyage est sa manière à elle de se pencher sur les saisons passées pour identifier les absences, laisser en elle se former une place vacante et accueillir l’histoire à écrire. Ce besoin de tout recommencer, d’adopter aujourd’hui pour mieux le réinventer et laisser de la place pour demain. Explorer son monde intérieur, reprendre sa longue introspection solitaire, et la poursuivre en traversant le vrac des choses, des êtres et du temps. Être à l’écoute de ses sensations, prête à tout recevoir. Être en harmonie avec sa respiration intérieure, celle d’avant les mots. C’est ce qu’elle a décidé un matin d’hiver à dix heures cinq, vers la place des Trois Soupirs.
Maintenant elle est là, dans cette chambre à la fenêtre ouverte sur un jardin éclairé de lanternes et à portée de son regard, dans un vase délicat, une pivoine rose aux pétales à peine froissés semble l’observer. Quelque chose de subtil se dégage de cette scène comme un parfum de mélancolie, de douceur enfouie. De cet instant en suspension dans le temps, elle en ressent les moindres vibrations avant qu’elles ne s’évanouissent comme un songe. Elle observe l’étrangeté du lieu, nu ou presque. Elle observe le futon déplié sur les tatamis et les parois de papier, hume le parfum entêtant des magnolias. Elle s’observe elle-même comme dans un face-à-face improvisé dans un miroir, avec cette curiosité innocente et fragile caractéristique des premières fois, et ne croise qu’une inconnue imaginaire rencontrée la veille. Aussi, les heures écoulées lui reviennent à la mémoire — l’arrivée à l’aéroport, le long trajet à l’arrière d’une voiture glissant dans la nuit et le quartier plongé dans la pénombre. Le temps devient autre. Plus transparent, presque translucide. Sans doute ces images lui reviennent par bribes puis s’effilochent pour ne plus exister. C’est donc ici qu’elle est à présent, dans un nouveau pays, une nouvelle ville, un nouvel espace de vie. Non loin, en toute discrétion une cloison glisse.
[Ateliers été 2021_Tiers Livre_F.Bon]
jusqu’au bout de la nuit
jusqu’au bout de la nuit
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impression du soir _ [photo © Dominique Estampes Paillard] |
des heures passées sous les couvertures à lire en secret à la lampe de poche, l’oreille aux aguets, tendue vers les bruits extérieurs et cette douce impression de transgresser un ordre établi dans cette chambre à la porte entrebâillée
comme une odeur de poussière sur l’édredon en plume, les craquements secs du parquet, une bougie un soir d’orages et le reflet des ombres dansantes sur le mur lézardé et sombre
une sensation étrange d’être réveillée par une perte d’équilibre, un roulement imperceptible, comme un tremblement, sans doute celui de la terre, et une chambre au 29ème étage d’une tour, dans le petit matin enveloppé d’une brume épaisse et une alarme stridente invitant à sortir et s’engouffrer dans les escaliers de secours
cette chambre aux tentures lourdes, au mobilier foncé, morose, impersonnel et malgré un effort de climatisation cette moiteur tropicale hantant mes cauchemars
dans ce petit espace, un lit double, une armoire, un lit de camp et le souvenir pour la nuit d’un pot de chambre posé dans un coin
ça sent les embruns du large, ça dépose un film d’humidité sur le pont, ça enveloppe le corps d’une pellicule saline et toute la nuit le claquement régulier de la drisse contre le mât, c’est comme une invitation au voyage
quelque part, la rumeur de la rue, les persiennes entrouverts, les arômes piquants des épices qui embaument toute la chambre et le doux filet d’air d’un matin à venir
et la sensation de passer à côté de sa nuit, comme si les murs s’étaient effacés offrant à l’imagination un horizon dégagé et profond, puis l’impossibilité de retourner sur ce lieu indéfini et la réalité d’une pièce traversées par les vibrations du métro aérien
un décor inspiré des Mille et une nuit, dorures au plafond et tissus mauresques, effluves d’encens et sous les pieds la fraicheur du carrelage au motif oriental, dehors le muezzin appel à la prière
le murmure du vent dans les feuilles, le pépiement des petits oiseaux, le coassement des grenouilles, le grognement des sangliers au petit matin et le sentiment de faire partie d’un paysage vivant, là-haut, au début du ciel, à moitié endormi dans la maison suspendue au milieu des arbres
[Ateliers été 2021_Tiers Livre_F.Bon]
15/06/2021
100 mots & de l'eau
été 2021 | atelier d'écriture, prologue aux deux cycles
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[photo © Dominique Estampes Paillard] |
100 mots & de l'eau
il y a peut-être en ce moment une ville au bord de l’eau, une ville d’eau saline pataugeant sous une pluie impitoyable, sous des trombes d’eau cristallines, une ville transpercée par un fleuve puissant et tourmenté d’un côté et l’océan à l’humeur chagrine de l’autre, une ville exténuée, lessivée, au bord de la noyade, de l’asphyxie, une ville humide oubliée, abandonnée aux embruns, une ville sans nom, seule, présente à elle-même, fragile dans son enveloppe liquide, ballottée par un roulis ininterrompu, une ville qui laisse l’eau œuvrer, la transpercer et s’abandonne à sa texture insaisissable, une ville au bord de la rupture
[Ateliers été 2021_Tiers Livre_F.Bon]